Calcutta, de l'imaginaire à la réalité
- Isaure et Augustin
- 16 avr. 2017
- 7 min de lecture
Calcutta. Cette ville, on la connaît, au moins de nom. On a tous entendu parler de mère Térésa, on a lu la Cité de la Joie, ou on a vu le film. Bref, Calcutta évoque quelque chose dans l’esprit de chacun, sans que l’on puisse dire si on est proche ou loin de la vérité.
Nous aussi, on avait notre petite idée sur la chose. On s’était imaginé l’Inde, on s’était imaginé Calcutta. Et pourtant...
Manille fut un petit choc, certaines choses nous ont marquées. Mais c'était le début du voyage, le grand saut. Calcutta fut un nouveau choc. Un plongeon dans l'inconnu. Nous avons découvert cette humanité grouillante, allant et venant dans un vacarme incessant. Nous avons découvert une ville qui ne semble jamais s'arrêter, et avons appris à être bercés par les klaxons incessants. Enfin, nous avons découvert ce que nous avions lu, ou vu dans la Cité de la Joie, mais qui nous paraissait comme irréel, ou loin de nous. Nous savions que c'était vrai, mais ce n'est pas pareil de le voir.

Les rickshaws sont une réalité violente dans le quartier de Sudder Street. Ces hommes, maigres, pieds nus, tirant ces calèches remplies d'hommes et de femmes. Une image nous a particulièrement marqués : celle de cet homme, visiblement riche, assis dans un rickshaw, jambes croisées, le regard haut, tout de blanc vêtu, tiré par cet autre homme, aux habits lacunaires, pieds nus, et d'une maigreur terrifiante. On aurait dit un empereur romain tiré par un esclave. On aurait dit un autre temps. Mais non. Le présent est là, devant nous, et c'est bien une des réalités de Calcutta aujourd'hui. Cet homme n'a pas d'autre choix, être rickshaw est son gagne-pain.La pauvreté est partout. Le riche faisant son shopping côtoie le pauvre à chaque coin de rue. La mendicité est frappante. Des enfants, des femmes, des hommes. Au contraire des autres pays, ici, elle est insistante. On ne se contente pas de tendre la main, de dire une phrase. Non, on bouscule, on attrape, on touche. On suit sur des centaines de mètres, on insiste, on pousse. On est affamés.

Mais Calcutta, c'est aussi une vie incessante, une multitude de vendeurs, d'étales. Un petit cordonnier assis à même le sol rafistole les chaussures des passants, un autre homme vend des fruits, un autre des affiches. De nombreux stands de rue se tiennent sur les trottoirs noirs de monde où l'on circule à la queue leu leu : poulet biryani, naan, tandoori roti, riz masala et tant d'autres choses sont servies, parfois sur des tables de fortune, parfois simplement dans des assiettes et l'on mange alors debout. Des gens se précipitent sans faire la queue, car en Inde, on ne sait pas faire la queue. Les voitures circulent parmi ce monde, en klaxonnant sans cesse, et manquant de renverser le moindre passant, vélo ou auto-rickshaw sur son chemin. Chaque sortie dans la rue est une épreuve, il faut être à l'affût de tout. Le flux humain nous emmène, nous malmène, mais jamais ne s’interrompt. Les voitures, scooters, bus et autres engins motorisés klaxonnent puis foncent dans la foule. Les gens marchent, s’arrêtent, repartent, se bousculent, poussent.Calcutta est une ville qui vit, où rien n'étonne. Ni le troupeau de chèvres traversant la rue, ni le cheval au galop au milieu de la circulation. Ni le bus qui ne s'arrête jamais, ni les hommes avec des kilos sur la tête. Non, rien n'est étonnant, tout est normal. Au coin de certaines rues, des hommes se lavent au jet d'eau.

Si nous avons été quelque peu surpris au début, nous avons fini par comprendre le fonctionnement. Nous avons testé le bus. Les indiens, curieux et prompt à discuter avec un européen, nous ont alors indiqué où descendre puisque le bus ne s'arrête jamais vraiment. Il s'agit de monter et descendre lorsqu'il ralentit. Toute une aventure. Nous nous sommes promenés sur les marchés, avons été alpagués par de nombreux marchands, nous sommes allés visiter la Mother House, où repose Mère Térésa : lieu de calme dans la folie de la ville. Nous avons goûté nombre de repas indiens, heureux d'enfin pouvoir se séparer du riz que nous mangeons depuis presque 2 mois. Ici, il y a des pommes de terres, des plats en sauce, des naans, bref, une variété un peu plus importante à portée des petits budgets. On mange pour une poignée de roupies. Si ce n'était déjà pas très cher en Asie du Sud-Est, ici, ça l'est encore moins. Les indiens sont curieux, et il n'est pas rare qu'un indien vous arrête brutalement pour vous demander d'où vous venez. Il faut dire qu'ici, on ne passe pas inaperçu.Encore plus en tant que femme blanche. Car la place de la femme, on le sent, n'est pas la même qu'en France. Les files d'attente réservées aux femmes à la gare, les rames pour femmes dans le métro, les places pour femmes dans le bus, la ligne téléphonique pour les femmes en cas de problème... on sent bien qu'il y a quelque chose d'un peu différent. Lorsqu'un chauffeur de tuk-tuk a demandé à Augustin si je pouvais m'asseoir devant, cela m'a fait bizarre. Lorsque l'on marche dans la rue et que l'on sent les regards se poser sur soi, cela fait tout autant bizarre.
Le train

Nous avons aussi essayé de réserver un billet de train. Cela paraît peut-être un fait anodin en France, mais ici, ce fût toute une aventure. N'arrivant pas à réserver par internet, nous avons eu l'idée de génie de nous rendre à la gare. Nous avons donc marché 4km pour enfin mettre les pieds dans l'immense gare d'Howrah, bondée. Les gens arrivent avec toute sorte de bagages, et il est difficile de trouver son chemin. A peine entrés, nous decouvrons alors une longue queue. Arpres observation, nous comprenons que cette queue mène à trois guichets. Regardant ce qui est écrit au dessus, nous ne trouvons pas notre destination et un indien nous demande alors où l'on souhaite aller. On lui dit que l'on cherche à acheter un billet pour Gaya et il nous indique que ce n'est pas ici. Nous entrons alors dans la gare en elle-même, et complètement perdus, ne voyons pas un seul endroit à l'horizon où acheter des tickets. Nous voyons une cahute au milieu et nous dirigeons vers elle pour nous renseigner. On nous renvoie alors vers une pièce où est écrit "Enquiry". Nous entrons, et trouvons devant nous 5 guichets. Un indien nous indique que nous devons faire la queue au 5e. On manque évidemment de se faire doubler par plusieurs indiens avant d'enfin atteindre le guichet. Lorsque l'on demande un ticket pour Gaya, on nous dit que ce n'est pas là mais dans le "bâtiment d'à côté". On se dirige donc vers le hall suivant, où nous faisons à nouveau la queue. Quand arrive notre tour, on nous annonce alors que pour réserver des tickets "à l'avance", ce n'est pas ici, mais au guichet 49. Nous sommes au guichet 51 mais aucune trace du guichet 49 dans ce hall. Nous n'avons pas tout compris mais l'homme a semblé nous montrer un autre hall. Nous sortons, retraversons la gare et finissons par trouver le guichet 49 dans un autre hall. Il y écrit au dessus "Advance reservation". Tout heureux d'être peut-être enfin au bon endroit, nous faisons le queue et notre tour arrive rapidement. L'homme nous demande où nous souhaitons aller et nous dit alors qu'il n'y a qu'une liste d'attente ici mais que l'on peut réserver en allant à un autre point de la ville (centre pour les étrangers uniquement !). Le centre ouvre à 10h le matin et nous arrivons à 11h tranquillement pour nous rendre compte - une fois que nous avons compris qu'il fallait aller prendre un formulaire en arrivant, formulaire qui comporte un numéro de passage - que nous avons approximativement 3h d'attente... Tout ça pour ne pas avoir le billet voulu mais qu'importe nous disons amen à tout ce que l'homme derrière le guichet nous dit car notre seul objectif est désormais d'avoir un billet !Ce sera finalement chose faite, et nous pourrons partir pour Bodhgaya. Nous héritons d'un train de nuit et c'est peut être la meilleure chose qui nous soit arrivée. Nous découvrirons en effet une semaine plus tard les trains "passengers", de jour. Et la question est... comment raconter ?
Imaginez un métro bondé aux heures de pointe. Maintenant imaginez que les portes ne se ferment pas. Rajoutez donc des gens à moitié dehors, accrochés à la porte. Le voyage a duré 3h et être à l'intérieur est la partie reposante du voyage, la partie la moins difficile, la moins horrible.Car prenez ce train bondé qui arrive en gare et imaginez qu'il doive se vider puis se re-remplir d'autant de personnes. La solution la plus simple et la plus raisonnable serait d'attendre que le train se vide pour commencer à monter dedans. Sauf que ça ne se passe pas exactement comme ça. A l'annonce de l'arrivée du train, les gens traversent les rails pour se placer de l'autre côté du train. Il y a donc des gens de chaque côté, prêts à se jeter sur le train.Celui-ci arrive, les gens se ruent, se poussent, certains essaient de sortir et ceux qui veulent rentrer poussent dans l'autre sens. La cohue est monstrueuse, et nous voilà projetés contre le train. Les gens se bousculent et nous poussent, d'autres se jettent tant bien que mal alors que d'autres essaient de sortir. Collés au train, nous attendons le bon moment pour tenter de monter. Sauf qu'attendre que la personne dans l'autre sens sorte implique retenir la poussée violente exercée par tous les passagers derrière nous qui, telle une mêlée massive, nous propulse vers l'avant. Un indien me prend ma valise pour m'aider au moment où nous sommes entraînés dans le train tandis qu'un homme essayant de sortir est bloqué par son sac à dos resté à l'intérieur mais accroché à ses épaules. Nous parvenons à entrer et l'indien nous montre alors où nous mettre, dans un coin, près de la porte. Il nous fait comprendre qu'il est inutile d'essayer d'aller plus loin dans le wagon, et nous assistons stupéfaits à de véritables batailles pour les quelques places assises disponibles. Je m'en sors avec une griffure sur le bras, moindre mal quand on imagine avec quelle violence les gens se précipitent dans le train.
Cela a l'air bien inhumain et pourtant, au sein de cette cohue sans nom, nous avons fait de belles rencontres. Un indien nous a même invité chez lui suite à cette rencontre dans le train. Faute de temps, nous avons été contraints de décliner l'invitation mais il nous a tout de même trouvé un rickshaw, nous a conduits à la station de bus, nous a permis de trouver le bon bus, ce qui sans lui se serait révélé très compliqué, nous a offert à manger, bref, une de ces rencontres qui vous réconcilient avec la nature humaine !

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